La pêche perlière des Émirats : un trésor culturel enraciné dans les eaux du Golfe
- Echo Moyen-Orient
- 7 juil.
- 4 min de lecture

🧭 Aux origines d’un héritage maritime millénaire
Avant les gratte-ciel de verre et les autoroutes désertiques, bien avant le pétrole et les métropoles futuristes, les Émirats arabes unis vivaient au rythme des vents du Golfe et des marées. La pêche perlière des Émirats, aujourd’hui considérée comme un pan majeur de leur patrimoine immatériel, fut pendant des siècles l’un des piliers économiques, sociaux et spirituels de la région.
Datant d’au moins 7 000 ans selon des fouilles archéologiques à Umm al-Quwain, cette activité a façonné la vie des communautés côtières de l’actuelle Abu Dhabi, Dubaï, Ras al-Khaimah ou Sharjah. Bien avant l’arrivée des hydrocarbures, la perle émiratie illuminait les marchés de Bombay, de Constantinople, de Paris et même de Londres.
Mais cette tradition n’était pas seulement une industrie. C’était un mode de vie, un symbole de résilience et d’harmonie avec la nature.
🌊 La saison des perles : entre rituels, endurance et fraternité
Chaque année, entre mai et septembre, des centaines de boutres (dhow) levaient l’ancre, emmenant à leur bord des équipages entiers d’hommes, jeunes et vieux, vers les hauts-fonds perliers du Golfe.
Le périple était rude : chaleur écrasante, conditions de vie austères, alimentation spartiate. Le travail du plongeur – le ghawwās – consistait à plonger jusqu’à 15 mètres de profondeur, souvent sans équipements, retenant sa respiration pendant plus d’une minute. Attaché à une corde lestée, il fouillait les fonds marins à la recherche d’huîtres perlières (Pinctada radiata). On estime que seuls 1 à 2 % des coquillages récoltés contenaient une perle exploitable.
Les rôles sur le navire étaient bien définis : le nahhām, chanteur de bord, rythmait les journées de chants poétiques destinés à alléger la pénibilité ; le sā’ib, chargé de tracter les plongeurs ; le nukhudhah, capitaine expérimenté, gérait la navigation, la discipline et les finances.
La pêche perlière était autant une aventure collective qu’un rite de passage initiatique.
🏛️ Les perles, joyaux du commerce prépétrolier
Avant que le pétrole ne transforme le paysage économique des Émirats dans les années 1960, la pêche perlière représentait la principale source de revenus pour de nombreuses familles. Les perles naturelles émiraties, prisées pour leur éclat unique et leur teinte subtile, transitaient vers les plus grandes bijouteries du monde.
Le commerce s’organisait autour de marchands perliers – appelés tawāsh – qui achetaient directement aux capitaines. Ceux-ci revendaient ensuite les perles à des négociants indiens ou iraniens, établis dans les souks de Dubaï ou de Bahreïn. La ville d’Al Jazirat Al Hamra (aujourd’hui un village fantôme au sud de Ras al-Khaimah) était alors l’un des grands centres de cette activité.
Les grandes familles marchandes émiraties actuelles – dont certaines ont bâti des empires dans l’immobilier, la finance ou l’hôtellerie – doivent souvent leur fortune initiale à ce commerce séculaire.
📉 Déclin et renaissance d’une tradition oubliée
Le XXe siècle a marqué un ralentissement brutal de cette économie millénaire. Plusieurs facteurs y ont contribué :
La Grande Dépression de 1929, qui a drastiquement réduit la demande mondiale.
L’émergence de la perle de culture japonaise, introduite par Mikimoto dans les années 1920.
Le développement du secteur pétrolier, qui a offert des revenus stables, mieux rémunérés, et plus sûrs.
En l’espace de deux décennies, des milliers de pêcheurs ont raccroché leurs filets, et les dhow ont été laissés à quai. Mais si la tradition économique s’estompa, le souvenir, lui, n’a jamais disparu.
Dans les années 1990, face à la modernisation rapide, les Émirats ont initié une série de politiques patrimoniales visant à réhabiliter cette mémoire maritime.
📖 Transmission culturelle : entre musées, festivals et témoignages vivants
Aujourd’hui, la pêche perlière des Émirats est mise à l’honneur dans plusieurs institutions culturelles et initiatives éducatives. L’objectif : préserver ce savoir-faire ancestral et le transmettre aux jeunes générations.
Parmi les lieux emblématiques :
Le Musée maritime de Sharjah, qui expose des instruments traditionnels de plongée, des coquillages et maquettes de boutres.
Le Heritage Village d’Abu Dhabi, où d’anciens pêcheurs racontent leurs souvenirs aux visiteurs.
Le Pearling Path à Muharraq (au Bahreïn, classé à l’UNESCO mais connecté à l’histoire régionale commune), qui illustre l’ampleur de cette civilisation perlière du Golfe.
De nombreux festivals incluent aussi des reconstitutions de plongée traditionnelle, avec des jeunes formés à manier les pinces nasales (fattam) ou les paniers en filet (dayeen) comme autrefois.
🌱 Un modèle de durabilité et de respect des écosystèmes
À l’heure où les océans sont menacés par la surpêche, la pollution et les microplastiques, la pêche perlière émiratie offre un modèle d’extraction douce et respectueuse de la mer.
Contrairement à d'autres types de pêche industrielle, cette activité ne nécessite ni filets massifs ni perturbation des fonds marins. Les plongeurs ne ramassaient que ce qu’ils pouvaient porter, et les huîtres non exploitables étaient rejetées à la mer, permettant la continuité de l’écosystème.
Aujourd’hui, certains projets visent même à relancer une production locale de perles, en mêlant techniques traditionnelles et innovation écologique, notamment dans les lagunes de Ras al-Khaimah ou sur l’île de Sir Bani Yas.
🗺️ La pêche perlière des Émirats, miroir d’une identité nationale
Plus qu’un souvenir d’un passé révolu, la pêche perlière des Émirats est désormais un marqueur identitaire pour une nation jeune, cosmopolite et tournée vers l’avenir.
Dans un pays où la modernité s’accélère à une vitesse vertigineuse, cette tradition rappelle qu’il y a une âme dans le désert, une mémoire dans les eaux du Golfe, et une fierté dans l’effort de transmission.
De nombreux Émiriens portent aujourd’hui des bijoux sertis de perles en hommage à leurs ancêtres, et les autorités locales encouragent les écoles à intégrer l’histoire perlière dans leurs curriculums.
Ce retour aux racines n’est pas nostalgique. Il est structurant, presque visionnaire : en s’appuyant sur ses richesses culturelles ancestrales, les Émirats construisent un présent équilibré entre technologie et tradition.
🎯 Conclusion : Un éclat d’humanité dans un monde de verre
La pêche perlière des Émirats n’est pas une simple anecdote historique. C’est un socle, une mémoire collective, une lumière douce venue des profondeurs, que les Émirats ont su préserver avec fierté.
À travers les chants des marins, la sueur des plongeurs et l’éclat d’une perle naturelle, c’est tout un monde disparu qui continue de briller discrètement, et qui nous rappelle que le vrai luxe ne réside pas seulement dans le pétrole ou les gratte-ciel, mais dans la transmission, la nature, et l’histoire partagée.
📚 Sources
National Archives UAE – Oral Histories of Pearl Divers
Sharjah Museums Authority
The National News (UAE) – “Preserving the Memory of Pearl Fishing”
ICOMOS UAE Heritage Reports 2022
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